Ah, le printemps !

C’est la période des amours, des fleurs, du beau temps qui pointe le bout de son nez. Mais c’est aussi la période des BARBECUES !!! Des côtes de Bœuf bien juteuses, des Chipos biens grasses … Du bonheur à l’état pur !!!

BBQ Season Grand Opening !!!

BBQ Season Grand Opening !!!

Il fait noir et je suis debout face à cet écran de velours  grenat. Une clameur timide et feutrée arrive à mes oreilles. J’ai les mains moites et mes aisselles ont décidé de se convertir en système d’arrosage automatique pour champs de maïs. Il va falloir y aller, et vite, avant que le trac ne me tétanise. Il m’avait dit « c’est à toi dans 2 minutes !!! » cet enfoiré de Bernard-Henri, le régisseur dont l’haleine chargée était à elle seule une ode au penchant qu’il a pour la bière en fût. Deux minutes !!! Deux siècles, oui !!! Mais ça y est, c’est la délivrance. Roulement de tambour et musique bien kitsch, c’est le signal pour mon entrée.

"♪♫♪ Et maintenant, mesdames et messieurs, petits et grands, sous vos yeux ébahis, voici pour votre plus grand plaisir ♪♫♪ … ♪♫♪ le moment que vous attendez toutes et tous ♪♫♪ … ♪♫♪ il nous vient des terres septentrionales des plaines ARRIDES de l’Escault ♪♫♪ … ♪♫♪ Le grand, le merveilleux, le seul et l’unique … MAGIC GRIBOUILLE !!! ♪♫♪" entonne le chauffeur de salle, de sa voix nasillarde toute droit sortie des années 40.

La lumière du spot m’éblouit. Putain il ne m’avait pas prévenu que je devrai faire mon show à l’aveugle !!! Des surprises comme celle-là, je m’en passerai bien, en fait. Et ça me brûle la face. C’est une lampe U.V. qu’ils ont mis ou quoi ? Oui, bon, plutôt sympa comme attention, tu as la rétine brûlée au troisième degré, mais tu as le teint hâlé.

"- Allez, arrête de cogiter, tes spectateurs t’attendent."

Ma vision commence à se familiariser avec cet environnement agressif et j’aperçois enfin mon auditoire. Euh … comment dire … En fait, j’aurai aimé que cette dernière reste un petit peu plus longtemps inutilisable. J’ai un imperceptible mouvement de recul et les yeux éberlués, comme ceux d’un lapin pris dans les phares - mais on mettra ça sur le compte de la lampe U.V. - face à une telle assemblée …
Je prends mon courage à deux mains et réfrène ma nausée. Lapoire, mon lapin blanc, bien au chaud dans mon « haut-de-forme » à quintuple fond, me sème tranquillement ses excréments sur le sommet du crâne. Sale bête, je me vengerai !!!
« The show must go on !!! » j’enchaine les tours, ponctués de « oooooh » admiratifs, de « aaaaaaah » émerveillés, de « wooooooow » extatiques … Je la tiens, cette foule. Elle a les yeux rivés sur ma personne. Elle m’appartient, je suis leur idole, leur Dieu unique, je suis, à cet instant, le « Kingofzeweeeeeeeeuuuuuuuuurld !!! youhooooouuuuuuu !!! ». Pour faire bref, je viens de toucher du doigt un état de jouissance extrême nourrit par l’intérêt qui est porté à mon encontre. Un gros kiff !!!
Tout se passe merveilleusement bien. Je transforme le plomb en or, mais l’eau … en vain, on ne peut pas réussir à touts les coups !!! J’arrive même à introduire deux séquences d’improvisation vengeresse. D’un mouvement gracieux de ma baguette magique appuyé d’une formule de circonstance, Bernard-Henri lévite et j’en profite alors pour couper Lapoire en deux …  c’est là que survient le couac, le grain de sable qui enraye la mécanique bien huilée de mon exhibition.

"- Euh, scuse-moi … scuse-moi … m’sieur le prestiti … presditigi … m’sieur le magicien !!! "

Le charme est rompu. Un gredin mal élevé au physique approximatif me sort brusquement de cette transe. Groggy par le choc brutal du retour à la réalité, le front rougi et cloqué par l’intensité du spot à U.V., je regarde le malotru avec toute la compassion que m’autorise cette vision particulière.

"- Qui a-t-il, petite chose ? À quoi rime ce cirque ?
 - Euh, y’a le gars qui se prend pour un CANADAIR", me dit-il en me montrant Bernard-Henri planant au dessus de la foule, gesticulant comme un pantin et répandant une pluie d’urine maltée comme pour revendiquer le climat estival de sa Bretagne natale. Cet incident pluviométrique rare sort l’assistance de l’hypnose dans laquelle mon spectacle les avait plongés et produit l’effet d’une bombe. Tout à coup, comme si la fin du monde était en marche, les gens se bousculent, se marchent dessus pour éviter d’être aspergés.
Dans ce chaos nauséabond, j’aperçois le petit être aux mouvements frénétiques incohérents qui se prend un seau entier de pisse sur le coin du facies. C’est le moment que choisit la partie supérieur de Lapoire pour se fendre d’un large sourire et prendre la partie inférieure de son anatomie divisée à son cou !!! Je tente de le rattraper, mais je glisse dans une flaque de Bernard-Henri et me claque le crâne sur le sol de la salle.

Le choc me fait me lever en sursaut, je suis en nage, mais dans mon lit. Pas de Bernard-Henri, ni de Lapoire, pas de Cabaret, ni de jet d’urine et encore moins d’à-peu-près spectateurs. Non, je ne suis pas magicien …
… Quoi que ? Parfois les gens disparaissent de ma vie ... comme par magie.  

C’est con !